Chemin qui descend vers la plage de Korn ar Gazel. A droite, Le panneau du rituel du Chemin des goémoniers de Marie-Michèle Lucas. A gauche, House n°3de Nesrine Mouelhi. Photo © Nesrine Mouelhi.

Le chemin des goémoniers avec Nesrine Mouelhi et Marie-Michèle Lucas

Le 5 août 2023, dans le cadre de l’exposition « Escale #3 — Aber Benoît », Nesrine Mouelhi et Marie-Michèle Lucas ont convié le public à les suivre en vue d’une balade artistique sur le chemin dit « chemin des goêmoniers » à Saint-Pabu. Le rendez-vous était donné à 13h45 à la Maison des Abers-Ti an Aberioù.

La date et l’horaire, un jour de grande marée à l’heure où la mer est basse, ont été programmés par les deux artistes pour que, la mer étant retirée bien loin sur l’estran, les rochers et les vestiges des anciennes pêcheries soient accessibles.

Voici le déroulé de cette rencontre :

1- Arrêt à Korn ar Gazel devant la House n°1 de Nesrine Mouelhi

La première étape de la balade nous emmène sur les dunes, au-dessus de la plage de Korn ar Gazel. C’est à cet endroit que Nesrine Mouelhi a installé sa première House qui marque le début du parcours de l’exposition Escale #3 — Aber Benoît.

Mais, avant de parler de ses propres travaux, elle nous présente le projet de résidence et d’exposition Escale #3—Aber Benoît, initié par Espace d’Apparence, ainsi que le collectif d’artistes qui y a participé.

Ses recherches personnelles ont quant à elles portées sur les anciennes pêcheries. Aussi, elle nous explique le contexte dans lequel elle les a découvertes, comment elle les a observées, et son idée d’installer des House à proximité.

Marie-Michèle Lucas lit :

Est-ce qu’on voit les pêcheries depuis la lune ?
Si on dirige les télescopes spatiaux vers la terre, peut-on compter les pierres de la grande pêcherie ?
Mais où est la petite pêcherie ?
Est-ce qu’il y a un lien entre le gored breton (la pêcherie) et gored, le mot anglais participe passé du verbe gore qui veut dire encorner ?

Gored, est-ce qu’on encorne les poissons ?
Est-ce qu’il y a des cornes de taureau dans un gored ?

Qu’est que ces « House » ? Des oratoires pour déposer quelques fleurs cailloux vers quels dieux, quelles déesses ?
Des cabines téléphoniques sur le rivage pour joindre les extraterrestres ou les Kraken de la mer tout au fond ?
Des « House » juste pour cueillir l’imaginaire, juste là quand le regard se retire de l’horizon-mer.

2- Arrêt devant la House n°2 de Nesrine Mouelhi et le panneau Chemin des goémoniers de Marie-Michèle Lucas.

Le groupe marche en direction du camping de l’Aber Benoît, près duquel se trouve un petit chemin qui descend à la plage de Korn ar Gazel. Ici sont installés, non loin l’une de l’autre, une House de Nesrine Mouelhi et le panneau Chemin des goëmoniers de Marie-Michèle Lucas.

Nesrine Mouelhi présente sa House n°2, deuxième sur le parcours de l’exposition Escale #3 — Aber Benoît, et informe le groupe qu’elle va les emmener visiter deux pêcheries.

Marie-Michèle Lucas présente son panneau Chemin des goëmoniers, créer au sein de son projet Rituaire, et le parcours que l’on va suivre. Lors de sa résidence à Saint-Pabu, l’artiste s’est intéressée au nom des rochers et à leur signification. Elle lit quelques éléments du livre de Manu Laot Découvertes des lieux marins aux abords de l’Aber Benoit, qui l’a accompagné tout au long de cette exploration.

Lorsque les roches se découvrent, c’est-à-dire que le niveau de l’eau baisse, le marin breton dira parfois que les rochers s’élèvent. Dibrad ar C’Herreg !

page 7 de Manu Laot sur les roches de mi-marée. (en haut)

 

3- An Tok

An Tok est un rocher qui a la forme d’un chapeau pointu. Arrivés sur la grève, nous partons à sa recherche et, une fois devant, nous mettons notre chapeau pointu en papier et nous le saluons.

4-La première pêcherie

Puis nous longeons la première pêcherie. Nous observons les pierres alignées en demi-cercle Pour aller vers le fond de la mer

5- Arrêt devant les rochers nommés Karreg Salaun Vras et Vian

Ici, Marie-Michèle Lucas lit les éléments dans l’ouvrage de Manu Laot relatifs aux rochers nommés Karreg Salaun. Ces rochers portent les noms de Karreg Salaun Vras et Karreg Salaun Vian.

Avant de continuer la balade, une photo du groupe entre les deux Karreg. A gauche du groupe, Christophe arbore le drapeau Karreg Salaun Vras. A l’autre bout sur la droite, Marie-Haude tient le drapeau Karreg Salaun Vian.

6- La pêcherie formée par les rochers de Karreg Salaun

Dans le Karreg Salaun Vras, il existe un canyon qui forme une pêcherie. Nous y pénétrrons. À l’intérieur, Nesrine Mouelhi fait la lecture d’un de ses poèmes inspirés par les Korejou (pêcheries en breton). Nous sommes à l’abri du vent.

Un poème de Nesrine Mouelhi

Est-ce que tu veux allonger le mur ?
C’est mon oeil qui s’installe
Est-ce que ce sont des pierres?
On est dedans, et on avance Tu m’entends
On appartient à l’espace, on est à l’intérieur
Un espace dans l’espace
La maison de l’espace
Une habitation dans l’habitation
J’habite ce qui est habité
L’œil du poisson est dans la maison
House nous entoure,
House nous fait voyager,
House nous parle,
House nous guide,
House et notre oeil,
House et notre maison de pêche
Un lieu aménagé dans laquelle on discute Une zone péchante
Le phénomène de dépression Cabine de pêche
Originalité de pierres

Puis une histoire de Marie-Michèle Lucas :

Après s’être avancés dans la mer jusqu’aux genoux, Marie-Michèle et Nesrine grimpent sur le mur en pierres de la pêcherie de Saint-Pabu. De façon surprenante, les pierres posées les unes sur les autres, sans ciment pour les faire tenir, sont assez stables. À certains endroits, l’eau recouvre encore le mur. Il s’agissait de ne pas perdre de temps, ce samedi 10 avril 2023 sur la plage de Saint-Pabu. La marée n’était que de coefficient 73, et découvrait la pêcherie deux heures seulement, juste le temps pour les deux femmes d’aller pêcher. Pécher des images. Imaginer une histoire. Saluer et capturer un rituel. Revivre un vécu. Piège à poisson géant. Un moment. Un instant. Une histoire.

Qu’est-ce qu’une pêcherie ? Le principe est très simple : deux grands murs formant un bassin sur l’estran, servent de piège aux poissons. Ils y entrent quand la marée montante recouvre le mur, et s’y retrouvent bloqués quand elle redescend. Les pêcheurs n’ont plus qu’à se rendre à l’arrière du bassin pour ouvrir une vanne par laquelle s’échappent l’eau et les poissons. Ces derniers restent bloqués dans le filet que les pêcheurs ont accroché en travers de la porte. L’idée est tellement simple que les hommes (les êtres humains) l’ont eu dès la Préhistoire. Des traces d’une pêcherie datant de l’âge de bronze ont été retrouvées en Bretagne.

La pêche est un moment de convivialité. En deux heures, Marie-Michèle et Nesrine ne sont effectivement pas là pour nourrir leur famille, mais pour arpenter un espace. Elles sont entourer des pierres. Elles sont à l’intérieure. Elle marchent. Elles parlent.

Les barrages ayant été construits sur l’Estran, leurs vestiges ne sont visibles qu’à marée basse ou, pour certains d’entre eux, lors des grandes marées. C’est pourquoi ils échappent au regard des profanes et des nombreux vacanciers qui parcourent chaque année les plages et les grèves bretonnes.

Les plus anciens sont éloignés du rivage et se trouvent aujourd’hui au large. Ils sont repérables sur les photographies aériennes grâce aux algues accrochées sur les pierres. Leur position par rapport à l’actuel niveau des marées permet de les dater mais avec une marge d’incertitude de plusieurs centaines d’années. En effet, si on sait que la montée du niveau de la mer a été de 120 mètres depuis la fin de la dernière glaciation, il y a 18 000 ans, celle-ci ne s’est pas produite de manière uniforme d’une côte à l’autre.

7- Arrêt sur la plage de sable d’où l’on voit Ael Vihan, Ael Vras et An Elez

Nous sortons de la pêcherie et nous contournons les roches de Karreg Salaun.

Ael Vihan, Ael Vras et An Elez en breton veulent dire Petit Ange, Grand Ange et Une Île.

Marie-Michèle Lucas explique le positionnement des rochers et lit les notes de Manu Laot à ce sujet et un texte qui raconte la découverte des motifs des anges.

Dialogue entre Nesrine Mouelhi et Marie-Michèle Lucas à propos des anges

Dis, Nesrine là-bas, celui là que l’on appelle Grand ange, trouves-tu qu’il a la forme d’un ange ?
-Peut-être qu’il est allongé avec les mains jointes, tu vois ses mains jointes et sa tête et ses pieds ?
-Tu as déjà vu un ange allongé sur le dos ? Agenouillé alors ?
Hum peut-être.
-Mais si regarde, il est là tranquille et recueilli, tourné vers le ciel en prière.

-Hé Nesrine, en rentrant hier, je suis passée voir l’église de Saint-Pabu. Je cherchais des vitraux, des statues, quelque chose qui aurait cette forme. Hélas elle est en travaux, impossible d’y entrer.
– Tu sais il y a ces livres sur patrimoine des communes du Finistère, aux éditions Flohic, peut-être chercher là dedans.
– oui c’est vraiment une bonne idée.

– Pages 982 et 983, y sont notés : une stèle de l’âge du fer, l’église Saint-Tugdual construite en 1767, le lavoir, la cale de granit du Passage et les blockhaus de la seconde guerre mondiale… rien sur les anges, pas d’images des vitraux ou du mobilier religieux sauf une statue de Saint-Tugdual en bois polychrome.
– ils viennent pourtant de quelque part ces noms de rochers !

– Nesrine tu sais, hier en rentrant de Saint-Pabu, je me suis arrêtée à Plouguin, je voulais entrer dans l’église, je cherchais encore les anges. Porte fermée, alors j’ai fait le tour et là tout au-dessus de la porte d’entrée, un ange à droite et en ange à gauche, peu de décorations par ailleurs juste ces deux-là et regarde leur forme tu ne trouves pas que ça ressemble ?
Et aussi il y a un jeune et un vieux comme un grand et un petit.

Alors juste là, fermer les yeux sous le regard de Ael Vian et Ael Vras, les pieds près du paradis.

8- Ar C’hezed

Nous nous retournons et nous cherchons à distinguer Ar C’wezeg. D’un même geste, nous pointons les rochers dont on voit les silhouettes au loin.

9- Retour à la Maison des Abers

Nous retournons à la Maison des Abers par les chemins inscrits dans le sable.

Fin de la balade. il est presque 16h.

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